Dans un arrêt du 1er octobre 2020, la cour de cassation s’est prononcée sur la question de la prescription de l’action en garantie des vices cachés.

Lorsque l’acquéreur d’un bien veut agir en garantie des vices cachés contre son vendeur, il doit vérifier que son action n’est pas prescrite.

Le délai de prescription extinctive est celui de l’article 1648 du code civil selon lequel :

« L’action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l’acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice. »

Mais la loi du 17 juin 2008, qui a réformé la prescription en matière civile, a modifié l’article 2232 du code civil (loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile).

Selon le nouvel article 2232 du code civil :

« Le report du point de départ, la suspension ou l’interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit (…) »

Le 1er octobre 2020, la Cour de cassation a jugé que le délai de 20 ans prévu par l’article 2232 du code civil n’était pas applicable à une situation née avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008.

Cour de cassation, 3ème chambre civile, arrêt n° 727 du 1er octobre 2020 (19-16.986)

Sommaire

Trois ventes d’un même bien immobilier se sont succédées avant la découverte des désordres

Première vente : En 1970 puis en 1972, par deux actes notariés, deux époux (les premiers propriétaires) ont acheté deux bungalows dans un village de vacances dans le sud de la France, en Provence.

Les propriétaires ont effectué des travaux pour réunir les deux bungalows en une seule maison d’habitation.

Deuxième vente : En 1990, après le décès du mari, l’immeuble a été revendu par son conjoint survivant et sa fille héritière, à un couple d’acquéreurs (les deuxièmes propriétaires).

L’acte notarié de 1990 mentionnait que les deux bungalows avaient été réunis en un seul immeuble.

Troisième vente : En 2010, les acquéreurs ont vendu l’immeuble à une troisième acquéreur (la troisième propriétaire).

Peu après la troisième vente, la nouvelle propriétaire a constaté que le sous-sol de la maison présentait des traces d’humidité importantes et que les fondations de la maison étaient déchaussées.

L’action en référé expertise judiciaire afin d’identifier la cause des désordres affectant la maison

En septembre 2011, l’acheteuse, troisième propriétaire, a assigné en référé expertise les premiers et deuxièmes propriétaires vendeurs.

En juin 2013, l’expert désigné a conclu dans son rapport que les désordres constatés portaient atteinte à la solidité de l’immeuble et le rendaient impropre à sa destination.

Le bâtiment présentait un risque d’écroulement.

L’assignation au fond en garantie légale des vices cachés de la propriétaire acheteuse contre les vendeurs successifs

En novembre et décembre 2013, la troisième propriétaire a alors assigné au fond en garantie des vices cachés, les vendeurs, premiers et deuxièmes propriétaires, devant l’ancien tribunal de grande instance de Draguignan, tribunal judiciaire.

La troisième propriétaire a exercé une action estimatoire qui consiste à garder la chose, sa maison, mais de se faire rendre une partie du prix de vente. Selon l’article 1644 du code civil, alternativement, la propriétaire aurait pu exercer l’action rédhibitoire consistant à rendre la chose et à se faire restituer le prix.

La condamnation à réparer le préjudice matériel, le préjudice de jouissance et le préjudice moral jugé par le tribunal de grande instance de Draguignan

Par un jugement du 11 mai 2017, le tribunal de grande instance de Draguignan a condamné les premier et deuxième propriétaires à indemniser la troisième propriétaire à hauteur de 54719,04 euros avec intérêts au taux légal en réparation de son préjudice matériel.

Le tribunal a également condamné in solidum les premier et deuxième propriétaires à réparer le préjudice de jouissance (13515,00 euros) et le préjudice moral (10000,00 euros) de la troisième propriétaire.

Les premier et deuxième propriétaires ont fait appel du jugement.

L’exception de prescription et la bonne foi des premiers propriétaires

Les premiers propriétaires de la maison ont affirmé que l’action de la troisième propriétaire était prescrite.

Elle avait agi dans le délai de 2 ans à compter de la découverte du vice en 2011.

Mais le délai de 20 ans de l’article 2232 du code civil était dépassé selon eux.

Les premiers propriétaires ont affirmé que la troisième propriétaire ne pouvait plus agir contre eux, plus de 20 ans plus tard après la signature des actes notariés de 1970 et 1972, date de naissance du droit d’agir.

L’absence de connaissance du vice caché et la bonne foi des deuxièmes propriétaires

L’acte de vente prévoyait une clause d’exonération de la garantie des vices cachés.

Cette clause est habituellement stipulée dans les contrats de ventes par les agents immobiliers et les notaires, lorsque le vendeur n’est pas un professionnel de l’immobilier.

Les deuxièmes propriétaires ont affirmé que cette clause de non garantie des vices cachés devait recevoir application en leur faveur car ils ne connaissaient pas l’existence des vices cachés révélés en 2011 et qu’ils étaient de bonne foi.

Ils ont affirmé que les premiers propriétaires devaient voir leur responsabilité engagée puisqu’ils étaient les auteurs des travaux litigieux à l’origine des désordres révélés.

La reconnaissance de la prescription de l’action à l’égard des premiers propriétaires et l’absence de connaissance des vices par les deuxièmes propriétaires selon la cour d’appel d’Aix-en-Provence

Le 02 avril 2019, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a jugé que l’action de la troisième propriétaire contre les premiers propriétaires était prescrite en application de l’article 2232 du code civil car intentée au-delà des 20 ans de « la naissance du droit », correspondant à la date de signature des deux actes notariés de 1970 et 1972.

La cour a également jugé que les deuxièmes propriétaires n’avaient pas connaissance des vices cachés.

Les demandes de la troisième propriétaire ont été rejetées en totalité.

La cour d’appel a totalement infirmé le jugement du tribunal de Draguignan.

Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 2 avril 2019, 17/09899

La non application de la loi nouvelle jugée par la Cour de cassation

La Cour de cassation a d’abord rappelé l’existence du nouveau délai butoir de 20 ans « à compter de la naissance du droit », qui emporte prescription extinctive, par application de l’article 2232 du code civil, issu de la loi du 17 juin 2008.

La Cour a ensuite précisé que le délai butoir de 20 ans qui court à compter de la date de signature des actes notariés successifs de 1970, 1972, 1990 et 2010, est, « dans un souci de sécurité juridique », la « contrepartie » et encadre le point de départ « glissant » :

  • de l’action personnelle ou mobilière selon l’article 2224 du code civil qui prévoit un délai de 5 ans « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
  • de l’action en garantie des vices cachés selon l’article 1648 du code civil qui prévoit un délai de 2 ans « à compter de la découverte du vice»

La Cour a ensuite visé le dernier article 26 de la loi du 17 juin 2008 qui dispose :

« I. ― Les dispositions de la présente loi qui allongent la durée d’une prescription s’appliquent lorsque le délai de prescription n’était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé.

  1. ― Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s’appliquent aux prescriptions à compter du jour de l’entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
    (…) »

La Cour a ensuite visé l’article 2 du code civil, inchangé depuis 1804, qui dispose :

« La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif. »

La Cour de cassation a estimé que le délai butoir de l’article 2232 du code civil ne relevait pas des dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008 qui concerne « les dispositions qui (…) réduisent la durée de la prescription ».

Selon la Cour, le délai butoir de 20 ans de l’article 2232 du code civil qui encadre les délais des actions dont le point de départ est « glissant », des articles 2224 et 1648 du code civil, ne relève pas des dispositions de la loi du 17 juin 2008 qui réduisent la durée de la prescription.

En l’absence de disposition transitoire applicable à l’article 2232 du code civil, la Cour de cassation a appliqué le principe de la non rétroactivité de la loi nouvelle à une situation ancienne selon l’article 2 du code civil.

Les désordres immobiliers sont survenus en 2011, postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008.

Mais l’article 2232 du code civil n’était pas applicable car il fait référence au « jour de la naissance du droit », correspondant aux dates de signatures des actes de ventes, qui sont antérieures à l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008.

En conséquence, La Cour de cassation a jugé que le délai butoir de l’article 2232 du code civil n’était pas applicable dans cette espèce où le droit était né avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008.

La portée de l’arrêt au regard des objectifs de la loi du 17 juin 2008

La prescription est d’une importance considérable pour le justiciable

La loi du 17 juin 2008 a été votée dans un contexte de droit comparé, en vue de la lisibilité et de la prévisibilité du système juridique français.

La loi du 17 juin 2008 avait entendu remédier à la prescription extinctive trentenaire de l’ancien article 2262 du code civil, source d’insécurité juridique, en réduisant le délai des actions personnelles et mobilières du Code civil à 5 ans et en instaurant le délai butoir de 20 ans.

La non application de l’article 2232 du code civil a pour conséquence d’admettre ici, plus de 40 ans après la première vente de 1970, l’action en garantie des vices cachés contre les propriétaires d’origine, et leurs héritiers.

L’arrêt de la Cour de cassation du 1er octobre 2020 (19-16.986) a pour conséquence de différer l’exigence de sécurité juridique souhaitée par le législateur en 2008 puisque l’action en garantie des vices cachés, qui doit être exercée « dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice » selon l’article 1648 du code civil :

  • n’est plus encadrée par le délai de droit commun de 30 ans de l’ancien article 2262 du code civil, non applicable en l’espèce,
  • n’est plus encadrée par le délai de droit commun de 5 ans du nouvel article 2224 du code civil dont le point de départ « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer» est, depuis 2008, identique à celui de l’article 1648 du code civil.

Retour aux errements passés à propos du délai de la garantie des vices cachés – Commentaire par Laurent LEVENEUR, Contrats Concurrence Consommation n° 10, Octobre 2018, comm. 169

Garantie des vices cachés : la première chambre civile persiste à l’enfermer dans un double délai – Commentaire par Laurent LEVENEUR, Contrats Concurrence Consommation n° 3, Mars 2020, comm. 38

La Cour de cassation a ainsi cassé partiellement l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

L’affaire a été renvoyée devant la cour d’appel de Lyon qui devra statuer sur la connaissance des vices et sur la bonne foi des propriétaires, vendeurs d’origine, dont au moins l’un d’entre eux est décédé.