« L’action en garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue n’est pas exclusive de l’action en responsabilité délictuelle fondée sur le dol ou la réticence dolosive commis avant ou lors de la conclusion du contrat »

Dans un arrêt du 23 septembre 2020, la cour de cassation, a ainsi cassé un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 30 avril 2019 qui avait exclu que la responsabilité délictuelle du vendeur puisse être recherchée par l’acquéreur, à raison d’une faute qui n’était pas extérieure, selon elle, au contrat de vente conclu.

(Cass. Civ, 3ème, 23 septembre 2020, n° de pourvoi 19-18.104, FS-P+B+I).

Sommaire

I/ Les faits

Les faits à l’origine de cette affaire sont les suivants :

Par acte notarié du 15 février 2006, Madame Y a vendu un immeuble à Madame X.

Mais des désordres ont été révélés dans le cadre des travaux de rénovation entrepris par Madame X à la suite de son achat.

II/ La procédure : la péremption de l’instance emportait t’elle la prescription de l’action ?

Le 20 mars 2006, Madame X a fait établir un constat d’huissier des désordres révélés.

Le 1er août 2006, Madame X a fait assigner la venderesse en référé expertise en vue de la désignation d’un expert judiciaire.

Le 29 novembre 2007, Madame X a fait assigner la venderesse au fond, sur le fondement de la garantie des vices cachés de l’article 1641 du code civil.

Selon l’article 1641 du code civil :

« Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus. »

L’acheteuse avait le choix d’agir en diminution de prix ou en résolution de la vente.

Madame X a choisi l’action estimatoire pour obtenir une diminution de prix et non l’action rédhibitoire pour obtenir la résolution de la vente.

De nouveaux désordres ont été révélés.

Le 06 août 2008, l’acheteuse a demandé une nouvelle expertise judiciaire.

L’expert désigné a déposé son nouveau rapport le 20 octobre 2009.

Cette date du 20 octobre 2009 est importante pour la suite de la procédure.

Deux ans plus tard, le 20 octobre 2011, donc deux ans après le dépôt du second rapport, aucune autre diligence n’avait été accomplie par les parties.

En conséquence, le juge de la mise en état a ordonné la péremption de l’instance.

Le 03 juin 2014, Madame X a fait signifier un nouvel acte introductif d’instance au fond à Madame Y.

Par cette nouvelle action, Madame X a agi sur un autre fondement que celui de 2007.

Au lieu d’agir en garantie des vices cachés, Madame X a agi en responsabilité délictuelle fondée sur le dol de Madame Y, au sens de l’ancien article 1382 du code civil, devenu l’article 1240 du code civil.

Madame X a agi en réparation de son préjudice résultant du coût de travaux liés aux désordres et de son préjudice de jouissance.

En effet, le deuxième rapport de l’expert avait été déposé depuis plus de deux ans.

Selon l’article 1648 du code civil, l’action en garantie des vices cachés qui devait être introduite par Madame X « dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice » ne pouvait donc plus être exercée.

Au contraire, la prescription de l’action en responsabilité délictuelle fondée sur le dol est de 5 ans selon l’article 2224 du code civil (anciennement 10 ans).

A quelques mois d’intervalle, à la date de l’assignation le 03 juin 2014, cette action en responsabilité extra-contractuelle n’était donc pas prescrite, même si l’inaction des parties avait entraîné la péremption de la première instance.

III/ L’arrêt cassé et annulé de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 30 avril 2019

Dans son arrêt du 30 avril 2019, la cour d’appel d’Aix en Provence a fait droit à l’analyse du conseil de Madame Y, venderesse en défense, selon lequel :

« L’action en garantie des vices cachés constitue l’unique fondement susceptible d’être invoqué pour obtenir l’indemnisation des désordres affectant la chose vendue et ayant la nature de vices rédhibitoires,

qu’outre le fait que les liens contractuels existant entre Madame Y et Madame X excluent que la responsabilité délictuelle de la première puisse être recherchée à raison d’une faute qui n’est pas extérieure au contrat puisqu’il lui est fait reproche d’avoir tu des désordres affectant l’immeuble vendu,

il doit être retenu que l’acquéreur ne peut exercer une action en responsabilité pour contourner l’impossibilité dans laquelle il se trouve d’exercer l’action en garantie des vices cachés, prescrite en raison de l’application du délai de deux de l’article 1648 du code civil ».

En présence d’un vice caché, la cour d’appel a exclu la possibilité d’agir sur un fondement extra-contractuel et sur un fondement autre que celui de l’article 1641 du code civil.

Pour la cour, le délai de 2 ans étant passé, l’action de l’acheteuse, fondée sur les vices cachés, était prescrite.

Madame X a formé un pourvoi en cassation.

IV/ L’arrêt de la troisième chambre de la cour de cassation du 23 septembre 2020

La Cour de cassation, contrairement à la cour d’appel dont elle a cassé l’arrêt, a jugé au visa de l’ancien article 1382, devenu 1240, et de l’article 1641 du code civil que :

« L’action en garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue n’est pas exclusive de l’action en responsabilité délictuelle fondée sur le dol ou la réticence dolosive commis avant ou lors de la conclusion du contrat »

L’attendu de la Cour de cassation rappelle les attendus de deux arrêts rendus en 2002.

Au visa des articles 1116 (ancien) du code civil, sur le dol, et 1641 du code civil, sur les vices cachés :

  • la troisième chambre civile de la cour de cassation a jugé que « l’existence de vices cachés n’excluait pas, par elle-même, la possibilité d’invoquer le dol»

(Cass, civ, 3ème, 10 avril 2002, n° de pourvoi 00-16.939, Inédit)

  • la première chambre civile de la cour de cassation a jugé que : « l’action en garantie des vices cachés n’est pas exclusive de l’action en nullité pour dol»

(Cass. Civ, 1ère, 6 novembre 2002, n° de pourvoi 00-10.192, publié au bulletin)

L’arrêt du 23 septembre 2020 confirme donc la jurisprudence selon laquelle l’acquéreur dispose contre son vendeur d’une option entre les actions que la loi lui offre.

V/ L’option admise entre l’action en garantie des vices cachés et l’action en responsabilité délictuelle fondée sur la réticence dolosive

Contre la possibilité d’option, ou contre la possibilité d’échapper au délai de 2 ans, ancien « bref délai », de l’article 1648 du code civil, il était avancé qu’une action spéciale au délai plus court, l’action en garantie des vices cachés, devrait chasser une action générale au délai plus long, en responsabilité délictuelle fondée sur le dol.

La question s’était également posée pour l’option avec l’action en responsabilité fondée sur l’erreur avec un solution différente.

Au contraire, selon le professeur Laurent Leveneur citant le doyen Carbonnier « la liberté du demandeur sur chacune des voies de droit qui lui sont ouvertes distinctement » doit s’imposer, dès lors que les dispositions du code civil relatives au vice caché ne sont pas des dispositions spéciales dérogeant aux dispositions générales fondées sur le dol (ou sur l’erreur).

(« Vice caché et erreur : retour aux années 1960 », par  Laurent  LEVENEUR, revue Contrats Concurrence Consommation n° 11, Novembre 2000, commentaire 159)

En précisant que le dol est « commis avant ou lors de la conclusion du contrat », la cour de cassation rappelle sa dualité.

Vice de consentement selon les articles 1130 et suivants du code civil, le dol est également extérieur au vice de consentement par l’erreur qu’il engendre.

Le dol est un « délit civil » et cet « aspect délictuel » prévaut dans la formation du contrat

(« l’aspect délictuel du dol dans la formation des contrats » par Jérôme Betoulle, conseiller référendaire à la Cour de cassation)

L’aspect délictuel du dol, comportement blâmable du vendeur, permet l’exercice d’une action en responsabilité délictuelle fondée sur l’article 1382 ancien du code civil (1240 nouveau).

Par cet arrêt du 23 septembre 2020, la cour de cassation confirme aussi que « la force perturbatrice du dol évince toutes les autres règles »

(« La force pertubatrice du dol évince toutes les autres règles ! », par Arnaud CERMOLACCE, revue la Semaine Juridique Edition Générale n° 37, 11 Septembre 2002, II 10136).

VI/ Vers la reconnaissance d’un manquement à l’obligation précontractuelle d’information sans preuve de l’intention dolosive

Le dol commis  « avant ou lors de la conclusion du contrat » est assimilé au manquement à l’obligation précontractuelle d’information qui pesait sur chacune des parties, et en l’espèce, sur la venderesse.

Il faut relever, d’une part, l’emploi de cette précision terminologique, d’autre part, le visa de l’article 1382 du code civil contrairement aux deux arrêts de 2002 précités qui visaient l’article 1116 ancien du code civil (1167 nouveau).

Cela signifie-t-il que le seul constat du manquement à cette obligation précontractuelle d’information l’emporterait sur la nécessité de rapporter la preuve de l’intention dolosive ?

La cour de cassation s’est prononcée en ce sens dans deux arrêts :

  • « (…) la cour d’appel, qui n’était pas saisie d’une demande tendant à l’annulation de la vente, a pu, sans avoir à se prononcer expressément sur le caractère intentionnel de la réticence qu’elle constatait et qui s’analysait aussi en un manquement à l’obligation précontractuelle d’information du vendeur, allouer des dommages-intérêts à l’acquéreur en réparation de son préjudice (…) »

(Cass, Civ, 1ère, 28 mai 2008, n° 07-13.487)

  • « la cour d’appel, qui n’était pas saisie d’une demande tendant à l’annulation de la vente (…), a pu, par ces seuls motifs et sans avoir à se prononcer expressément sur le caractère intentionnel de la réticence qu’elle constatait, allouer des dommages-intérêts aux acquéreurs dont elle a souverainement fixé le montant (…) »

(Cass, civ, 3ème, 18 décembre 2012, n° 11-19.550)

Il sera intéressant de lire la conclusion de cette affaire par la cour d’appel d’Aix-en-Provence devant laquelle l’affaire a été renvoyée et qui statuera à nouveau, mais autrement composée.